C'est un peu long, en gros ça critique les pro complotisme qui soi-disant auraient avalé la pilule rouge.
Perso j'y ai répondu en tempérant son message (parce que des fois, ce ne sont pas des complots mais une triste réalité). Puis j'ai fini en disant que j'étais d'accord avec le fait qu'il était plus facile de trouver des fautifs que regarder la vérité en face et prendre ses responsabilités.
A toi qui as avalé la pilule rouge. A toi qui, depuis, ne cesses de chercher à convaincre le monde que nous serions les sujets inconscients et manipulés d’une matrice pilotée par une intelligence occulte et malveillante, dirigée, au choix, par Bill Gates, Macron, BlackRock, les juifs, l’islam, les élites, des extraterrestres, ou une coalition entre tous les susnommés.
A toi, je dédie ces mots issus d’une exaspération grandissante face au flot de théories du complot, de fake news, resservies à la sauce Covid-19, allant de « L’homme n’a jamais marché sur la Lune », à la diffusion du SARS-CoV-2 par les antennes 5G ou les chemtrails, en passant par Notre-Dame incendiée par l’état français afin de détourner l’attention des gilets jaunes.
As-tu atteint un stade de contamination rendant impossible tout dialogue entre nous ? Je te parle malgré tout car les enjeux sont essentiels.
Tu as fait le choix de prendre la pilule rouge, mais tu as oublié que Matrix n'est qu'une fiction, dont les prémisses imaginent des machines élevant des humains en batterie afin d'en faire une source d'énergie. Ce qui ne tient pas une seconde car un être humain consomme plus d'énergie qu'il n'en produit. Cela fait s'effondrer toute la logique du film (que j'apprécie par ailleurs), comme s'effondrent la plupart des théories du complot lorsqu'on les soumet à un raisonnement non biaisé par la croyance initiale d'un complotisme généralisé au service d’une élite hypnotisant les foules dociles.
Lorsque l’on fait le choix de "croire", avant de raisonner, la raison devient secondaire. Au lieu de raisonner pour se faire une opinion, on fait l’inverse : on place sa raison et son imagination au service de ses croyances. L’imagination étant sans limite, il est toujours possible d’imaginer une fiction donnant l’illusion de la cohérence. C’est la base de la construction de la plupart des théories du complot.
Je n'ai pas avalé de pilule rouge. Je refuse tout autant d’ingurgiter une pilule bleue. Je m’efforce d’éviter les présentations binaires et caricaturales. J’essaye, imparfaitement, de comprendre le monde dans lequel nous vivons de la manière la plus rationnelle possible. Or, ne t'en déplaise, il est bien plus probable, bien plus rationnel, de penser que nous sommes tous responsables du monde dans lequel nous vivons, via la somme des milliards de nos actions individuelles, que d'imaginer que quelques personnages occultes et malveillants auraient le pouvoir de contrôler la planète entière.
Les scénarios du complot séduisent car ils permettent de désigner des coupables idéaux, des coupables quasi-inhumains, aux pires maux de l'humanité. Ils personnifient le mal, ils offrent un exutoire tangible à nos souffrances. N'est-il pas rassurant d'imaginer que nos malheurs viendraient de quelques méchants, qu'il suffirait de dénoncer et décapiter, pour obtenir un monde meilleur ?
La réalité est plus difficile à accepter et, cependant, dramatiquement plus simple : nous sommes tous responsables de la chaîne d’actions, de pouvoirs et d'interactions qui ont engendré ce monde et le maintiennent en l’état.
Tu peux décapiter Bill Gates si tu veux. Rien ne changera. Un autre prendra sa place. Toi-même, tu aurais pris sa place si tu en avais eu la possibilité.
Qui peut encore croire au réel pouvoir des révolutions violentes ? Il y en a eu, pourtant, au fil des civilisations, des rois, des présidents, des dirigeants sacrifiés sur l’autel de l’aspiration à un monde meilleur et des lendemains qui chantent… Toutes ces têtes coupées ont-elles changé fondamentalement le monde ? Non. Aujourd'hui, hier, comme il y a mille ans, il y a toujours eu des hommes pour en exploiter d’autres. Penses-tu que couper quelques têtes supplémentaires aujourd'hui y changera quelque chose ? Non. Pourquoi ? Parce que l’homme n’a jamais fondamentalement changé. Ou si peu. Comme aurait pu dire Coluche, le capitalisme, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme. Le socialisme, c’est le contraire.
Est-ce nier l'existence de « vrais méchants » que de penser cela ? Non : c’est admettre que les Hitlers, les vrais « fous du mal », il y en a autant chez les puissants que chez les faibles – Hitler venait d’un milieu modeste – et, heureusement, il y en a peu. Et n’oublions jamais qu’Hitler fut élu démocratiquement, par des gens comme toi et moi, précisément dans un mouvement de lynchage des élites, et en instaurant un climat de complots imaginaires.
Regardons les choses en face : nous ne sommes pas façonnés par quelques individus riches et puissants tirant les ficelles. Mais par des gènes que nous partageons tous, et par le poids de milliers d'années d'héritage culturel que nous inculquons, nous-mêmes, tous les jours, à nos propres enfants, sans que Bill Gates n'ait besoin d'intervenir.
Personne n'a besoin d’influencer l’humanité afin que 90% des gens choisissent de regarder Hanouna plutôt qu’Arte. L’homme moyen n’a pas eu besoin d’attendre la télévision ou les médias de masse pour consacrer l’essentiel de son temps à étancher une soif de pouvoir, d’argent, de sexe, de possessions matérielles, d’égo, chacun à son échelle, avec ses moyens, plutôt que combattre la famine en Afrique.
Nous sommes tous, les riches comme les pauvres, très majoritairement, influencés par la recherche du plaisir à court terme au détriment de l’avenir de l’humanité, une préférence innée pour la facilité versus l'effort, la défense de notre intérêt avant celui du voisin… Cela fait partie des mécanismes, des conventions millénaires, que nous mettons tous en application dans nos actions quotidiennes, et qui ont gouvernés l’évolution de l’espèce humaine depuis son origine, pour le meilleur, et bien sûr pour le pire.
Oui, c'est entendu, BlackRock cherche à faire du profit, souvent au détriment du social. Amazon et Apple font de l’optimisation fiscale. Les compagnies pétrolières détruisent les écosystèmes. Nos dirigeants sont confrontés tous les jours à des problématiques de conflits d’intérêt et certains y succombent.
Mais, au fond, sont-ils réellement plus mauvais, à leur échelle, que Monsieur-tout-le-monde, que moi, que toi qui a avalé la pilule rouge ? Que nous qui encourageons le système en achetant des t-shirts produits par des enfants en Inde parce qu’ils sont moins chers ; qui fermons les yeux sur ce mégot de cigarette jeté par la fenêtre et qui mettra jusqu’à 5 ans à se dégrader dans les océans ; qui achetons des tomates en plein hiver ; qui exigeons de payer notre diesel le moins cher possible ; qui cherchons le meilleur rendement pour notre retraite, ignorant peut-être que c’est justement le travail de BlackRock ; qui dans la pile de CV allons remplacer celui d’un inconnu par celui de notre frère ; qui travaillons un peu au noir, ou qui trichons un peu sur nos notes de frais, parce que bon, on paye déjà bien assez d’impôts comme ça, non ?
Comment ne pas se rendre compte que BlackRock, Coca-Cola, Amazon, au fond, ne sont que la résultante, le produit de nos exigences individuelles, bien innocentes prises une à une, mais aux conséquences considérables lorsqu’on les additionne ? Ce tanker qui pollue tant ne fait que t'apporter le pétrole que tu réclames et que tu exiges le moins cher possible. Ce flot de pétrole, c'est le fleuve alimenté par tous nos petits ruisseaux individuels. Comment ne pas se rendre compte que ce n’est pas BlackRock qui dirige le monde, mais chacun d’entre nous qui, tous les jours, apportons notre grain de sable au ciment qui rend cette forteresse imprenable ? Détruisez BlackRock : nous nous empresserons d’apporter nos grains de sable pour en construire un nouveau.
Une multinationale, ce n’est pas une entité déshumanisée : ton voisin y travaille. Il est sympa, pourtant, ton voisin.
Tout bien considéré, il n’y a nul besoin de faire intervenir de puissantes volontés occultes pour expliquer l’état du monde : chacun y joue sa part, à son niveau. S’il devait y avoir un complot, la triste réalité c’est que nous en sommes tous les instigateurs zélés, bien que le plus souvent inconscients.
Il ne s'agit pas de nier l'existence de vrais complots. Par exemple, l'industrie du tabac cherche réellement à manipuler l'opinion, dans le seul but de vendre ses produits, en provoquant, sciemment, des millions de morts. Mais il s'agit de se rendre compte que ces complots, ces entreprises malfaisantes, n'auraient aucune chance de naître, de grandir et de survivre, si nous ne participions pas, tous, via nos milliards de petites contributions, de petites faiblesses, de petites pressions, de petites mains inconsciemment complices des monstres que nous façonnons ensemble. Que nous façonnons en obéissant à ce mélange d'intelligence et de connerie, d'altruisme et d'égoïsme, d'amour et de haine, de créativité, de jalousie, de fainéantise, d'esprit de compétition, de lâcheté, qui caractérise l'espèce humaine depuis des millénaires, les riches comme les pauvres, les faibles comme les puissants.
Vous voulez voir le visage des responsables des malheurs du monde ? Regardons-nous dans un miroir. Le « système », c'est nous.
Comment l'améliorer ce monde ? Certes, l’argent, les lois, la finance, ne sont que des conventions humaines, n’ayant absolument aucune réalité physique. Dès lors, suffirait-il, comme l’exprime si bien Aurélien Barrau que j’admire, d’un claquement de doigt pour tout changer ? J’aimerais y croire. Malheureusement, l’histoire humaine semble démontrer qu’il est plus simple de raser des montagnes, bien réelles, que de changer certaines conventions, certes virtuelles, mais partagées par des milliards d’êtres humains, établies depuis des millénaires, et trouvant certainement, pour une large part, leur fondation dans notre génome.
Toi, qui as pris cette pilule rouge, je t’ai beaucoup critiqué à travers ces lignes. Pourtant, tu as initié quelque chose d’important. D'essentiel. Tu veux rendre le monde meilleur, car tu te rends compte que nous ne pouvons continuer ainsi. Nous sommes de plus en plus nombreux à le souhaiter. A le souhaiter ensemble.
Nous sommes de plus en plus nombreux à réaliser que, parce que les ressources naturelles s’épuisent inexorablement, parce que les écosystèmes se meurent, parce que les changements climatiques pourraient un jour rendre impossible la vie humaine sur Terre, améliorer le monde, changer la trajectoire de nos comportements quotidiens, ce n’est pas un luxe, ce n'est pas une option : cela devient une nécessité vitale, une condition de survie.
Mais ne nous trompons pas de coupables, d’objectifs, de cible. Décapiter les élites, ou quelques « coupables désignés » comme l’humanité l’a fait de nombreuses fois dans le passé ne changera rien à la nature de l’homme. Nous aurons besoin de tout le monde dans la tâche, titanesque, que nous devons relever. En particulier des experts, de ceux qui savent comment organiser les hommes, de ceux qui savent communiquer, construire, planifier…
Ce qu’il faut faire évoluer, ce sont les mentalités, les priorités de chacun et de tous. Si nous sommes suffisamment nombreux à le souhaiter, à l'exprimer, les élites, les organisations, les dirigeants s’adapteront d’eux-mêmes, sans qu'aucune violence, à mon sens contre-productive car provoquant nécessairement une contre-réaction dramatique, ne soit nécessaire.
Les dirigeants politiques, les patrons des multinationales, le directeur de ton usine, ton banquier, sont des humains comme toi et moi. Ils partagent exactement les mêmes défauts, les mêmes qualités que toi, que nous tous. Ils ne sont pas imperméables aux idées, ils lisent ce post, ils pleurent comme toi devant un être cher qui meurt sous leurs yeux. Ils savent qu’ils mourront un jour, comme toi, comme moi : ils ont besoin, comme toi, comme moi, de ressentir que leur vie aura servi à quelque chose de plus grand qu’eux.
L’homme a peu évolué durant ces millénaires. Mais il a changé une chose essentielle : il a rendu possible, grâce à la technologie, l’émergence d’une conscience planétaire.
L’instauration de systèmes démocratiques, la très large abolition de l’esclavage dans le monde, pour ne citer que quelques exemples, prouvent que nous sommes également capables de remettre en cause certaines conventions, pour le meilleur. Continuons.
Alors, non, nous ne pourrons probablement pas changer d’un claquement de doigt les ressorts fondamentaux qui gouvernent l’humanité depuis des millénaires. Je doute qu’il soit réaliste, même à moyen terme, d’abolir l’argent, la propriété privée, ou toute forme de hiérarchie entre les hommes. Mais nous sommes contraints de revoir nos objectifs, nos priorités et le paradigme d’une croissance économique et démographique éternelle. Notre survie en tant qu’espèce en dépend.
Tu veux voir le visage de ceux qui représentent l’espoir de l’humanité ? Regarde-toi dans un miroir. L'avenir, c'est toi.