Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations
Publié : mer. sept. 30, 2020 7:41 pm
Après un recul de plusieurs dizaines d'années, cette violence révolutionnaire a t-elle vraiment aidé la cause ? Pas évident à dire pour moi... Il me semble qu'elle a provoqué une fracture de conceptions de la société, ainsi que d'idéaux.Raoul Vaneigem a trente-trois ans quand il publie son Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, quelques jours seulement après la parution de La société du spectacle de Guy Debord, en novembre 1967. Près d’un demi-siècle plus tard, les considérations intempestives, inactuelles et actuelles, de ces deux manifestes situationnistes — deux marqueurs déterminants des années soixante — continuent d’éclairer notre hypermodernité.
S’appuyant sur une solide connaissance de l’histoire de la philosophie et des idées, de Plotin (« tous les êtres sont ensemble mais chacun d’eux est séparé »), Grégoire de Palamas (l’homme se fait Dieu) à Kierkegaard (la subjectivité est la vérité), R. Vaneigem donne pour références primordiales Hegel et Marx, bien sûr, mais aussi Nietzsche et Wilhelm Reich, Sade, Lautréamont et Tzara, sans compter des figures comme Paul Brousse ou même Ravachol.
Rien de nihiliste chez Vaneigem, qui dans une sorte d’avatar antichrétien du christianisme se propose au contraire de changer le désespoir en espoir. Se livrant à une apologie du désir et du plaisir, son projet poético-utopiste attend de la violence révolutionnaire (sic), dans le feu de joie d’une grande fête sociale, la libération de tous les possibles (« le vertige de toutes les jouissances mises à la portée de tous ») et la fin de tous les tabous, pour enfin « vivre sans temps mort ».
Davantage convaincant, son regard sur la société de consommation : vouée au quantitatif, saturée de faux désirs, dominée par l’esprit de soumission (l’introjection du conditionnement dès l’enfance), où l’adolescent « porte les premières rides du consommateur ». Incrustée dans le vécu, l’aliénation contraint à la « survie » (entendons par là une sorte de sous-vie, sans créativité ni plaisir authentique), dans « la course folle des instants morts et des temps vides » :
« Plus la vie quotidienne est pauvre, plus s’exacerbe l’attrait de l’inauthentique. »
Pour Vaneigem, qui partage dans toute leur pertinence les analyses de Debord, « la machine à décerveler de notre colonie pénitentiaire, c’est le spectacle. »
Rhétorique souvent soporifique, quelques provocations agressives, mais à chaque page une ou deux idées stimulantes.